Une contribution de Jacques Giber

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D'après (une pré-originale de) René Leys

J'ai eu le plaisir de me procurer et de lire, en avril 2018, un exemplaire de 'D'après René Leys', la rare pré-originale (voir note l'auteur 1) du roman de Victor Segalen (voir paragraphe A), occasion d'entamer enfin, par l’enquête bibliographique et par le domaine chinois, la découverte de cet écrivain aux multiples facettes, dont le nom seul était pour moi évocateur d'exotisme..

Description physique de la pré-originale

L'objet lui-même est simple et sobre. C'est un volume 23x15 cm, assez mince -1,5 cm- relié à la bradel* en plein papier japonais Unryu (''Dragon (ryu) dans les nuages (un)'') brun clair riche en longues fibres de mûrier miroitantes.
Le dos* porte deux pièces de titre*, vignettes collées en papier crème, encadrées haut et bas de deux traits noirs. L'une, de 4,5 cm, en partie haute, porte en majuscules les mentions VICTOR SEGALEN – D'APRÈS RENÉ LEYS, l'autre, en pied*, d'1 cm, la mention PRÉ-ORIGINALE.
Les contreplats* et les gardes* sont en papier japonais crème souple et fibreux. Les tranchefiles* sont gris-vert. La reliure est signée ATELIERS LAURENCHET en tête du premier contreplat. Elle n'est pas datée, mais ne paraît pas très ancienne, de toutes façon postérieure à 1947, date de fondation des ateliers.
Le texte lui-même est imprimé sur un papier d'édition ordinaire, uniformément et légèrement bruni, sauf sur les 3 bords extérieurs où le brunissement est plus marqué.

Cet intérieur du livre mérite d'être examiné de plus près car il comporte de nombreuses particularités intéressantes.
La première page, après la garde*, porte seulement, au centre, en majuscules, le titre LA REVUE DE PARIS et dans le coin supérieur gauche un petit bout de papier déchiré et collé portant (45) manuscrit à l'encre violacée.
Le revers de cette page est vide, mais porte, visible bien que très estompée, l'impression inversée de la page suivante.
La page suivante ne porte pas le titre mais, en différents corps de caractères*, les mentions de couverture de la revue.

Son revers est vide, la page de droite suivante est vide, mais plus épaisse, et le texte, titré : VICTOR SEGALEN commence sur la page gauche suivante. Cette page a été contrecollée sur un autre feuillet, pour masquer le texte au recto, qui est la fin de l'article qui le précède dans la revue; on distingue sa présence par transparence.
Cet article est signé GILBERT DE VOISINS (voir paragraphe B) ; tenant lieu de préface, il s'étend de la page 246 à la page 260.


La page 261 suivante, sans mention de page, est titrée, vers le tiers supérieur, D'APRÈS RENÉ LEYS, et porte la dédicace A SA MÉMOIRE suivie de la date Pékin, le 20 mars 1911. C'est le début du roman, publié en 4 parties (sans rapport avec la structure du récit, mais seulement avec l'espace alloué dans la revue), avec une pagination discontinue puisque chaque partie correspond à une livraison différente de la Revue de Paris. En poursuivant cette collation*, nous constatons que le livre est structuré de la façon suivante : 

Chaque partie du roman est signée VICTOR SEGALEN, avec la mention (A suivre.) seulement pour les parties 1 et 2, oubliée pour la partie 3, et avec un renvoi de bas de page sur le titre pour les parties 2, 3 et 4 indiquant respectivement:

  • Voir la Revue de Paris du 15 mars 1921
  • Voir la Revue de Paris du 15 mars et du 1er avril 1921
  • Voir la Revue de Paris des 15 mars, 1er et 15 avril 1921

Nous remarquons le curieux positionnement des 'tables de livraisons', entre la 3è et la 4è partie, et, avec l'oubli du contre-collage de la page 828, nous en déduisons que le travail de collationnement* et de reliure* n'a pas été réalisé ou établi* de façon optimale, même si la réalisation technique est séduisante.

Nous pouvons aussi nous intéresser aux cahiers* numérotés. Les pages des 4 parties étant extraites d'ensembles plus vastes, nous ne retrouvons pas partout et en continu la numérotation des cahiers. Les signatures* (N°) apparaissent en bas à droite de certaines pages impaires de droite, accompagnés en bas à gauche de la date de la livraison.

Nous constatons ainsi, d'après la 1ère et la 4ème livraison présentant des numéros successifs, que les cahiers font 32 pages et 16 feuillets*, soit une feuille pliée 4 fois et donc un format bibliographique* ou réel in-16, différent du format conventionnel* ou apparent (d'après la hauteur du livre), qui serait in-octavo* (entre 20 et 25 cm). Sont donc complets les 3 cahiers notés en grisé. Les autres cahiers sont incomplets en début et en fin. Le cahier commencé page 513 se termine page 544, à la fin de 2ème livraison, soit juste avant la mention manquante du n° 4 de cahier suivant. Le relieur a dû composer avec ces pages en plus ou en moins par rapport aux cahiers constitués. Nous avons vu qu'il a travaillé de façon soigneuse, mais pas impeccable.

Le volumineux catalogue de mars 2010 de la librairie Pierre Saunier (22 rue de Savoie à Paris VI), une mine de renseignements sur la vie et l’œuvre de ''Victor Segalen l'Exote'', cite un autre volume de cette pré-originale (PO) :

118 - D'après René Leÿs. La Revue de Paris. Du numéro 6 – 15 mars 1921 – au numéro 9 – 1er mai 1921 ;
soit 4 fascicules in-8 reliés en un volume, bradel demi percaline jaune impérial, couvertures et tables de livraisons conservés (Laurenchet). Édition pré-originale, posthume, de René Leÿs. La publication du récit est précédée d’une importante présentation de Segalen par Gilbert de Voisins. Segalen composa un premier manuscrit pour René Leÿs entre novembre 1913 et janvier 1914; il en composa un second à partir du premier, durant l’été 1916, dans la propriété de Kerascol de Gilbert de Voisins. Jean Lartigue établira le texte publié ici en feuilleton puis en volume chez Georges Crès. Seuls les feuillets concernant le récit et son auteur ont été conservées.

C'est le même relieur, mais nous n'avons pas plus d'indication sur la date de son intervention. Comme d'habitude, je le regrette, et j'encourage les relieurs qui signent à dater !

Nous ne savons pas combien de volumes ont été réalisés, si tous l'ont été par les Ateliers Laurenchet, si les relieurs ont travaillé sur des exemplaires tirés à part* (ou reconstitués à part) de 1921 brochés* et conservés en l'état au minimum, pour Laurenchet, 26 ans, voire bien plus. Le papillon noté (45) de mon exemplaire est-il un numéro d'ordre de ces tirés à part hypothétiques laissé par l'imprimeur brocheur, qui au passage pourrait être le véritable responsable des quelques incohérences relevées de la reliure ? Enfin, s'il est concevable que les deux tomes concernés de la Revue de Paris ont pu être conservés tel quels pendant plusieurs décennies par un proche de Victor Segalen, pour être finalement démembrés afin d'en extraire plus récemment un volume relié de la pré-originale, on n'ose imaginer que cela ait pu se produire pour de nombreux exemplaires. Et dans tous les cas, comment expliquer que deux exemplaires se retrouvent chez le même relieur ?

Il faudrait pouvoir remonter plus précisément dans l'historique de possession et de transformation de ces livres...

Tentative de description textuelle

En faisant maintenant abstraction de la partition en quatre du texte, - nous avons vu qu'elle ne dépend que des contraintes de publication en feuilleton* dans la Revue de Paris, - le texte se présente comme une succession de fragments datés d'un journal tenu entre le 20 mars 1911 et le 22 novembre 1911; la journée du 13 mai est même à cheval sur les parties 1 et 2. Le narrateur, s'exprimant à la première personne, se nomme Segalen, tel qu'il l'indique le 14 mai 1911, p512, en notant qu'il ''prise davantage'' son «Épi de Seigle» breton que le prénom «orchidée du Pavillon des Vierges» résultant de sa transcription chinoise «Sié Ko-la ». Il est sans doute plus crédule et naïf que l'auteur Victor Segalen. Nous apprenons p103 que le 11 octobre 1911 serait « (s)on anniversaire, paraît-il, et la fête de (s)a trente- cinquième année», soit une naissance en 1876 (signe du Rat), différente de celle de Victor Segalen le 14 janvier 1878 (signe du Buffle); l'année du Dragon, en astrologie chinoise 1880, aurait pu être un choix congruent.

Après cet incipit étrange, il nous narre cependant la naissance, l'évolution et la fin tragique de son amitié avec un jeune franco-belge, René Leys, fils d'un commerçant de Pékin. Segalen est obsédé par son désir de rentrer dans ''Le Dedans'', la Cité Interdite et d'en découvrir les mystères, mais trop tard, alors que la dynastie mandchoue des Qing vit sa dernière année et que les jours de sa splendeur sont révolus. René Leys, polyglotte, très à l'aise dans ce monde, est son professeur de chinois, avant même le plus traditionnel et âgé Maître Wang, et surtout répond à ses attentes et interrogations en l'introduisant peu à peu, par procuration, dans les secrets de la Cité Interdite. René Leys se révèle progressivement être l'ami de beuveries de hauts personnages, l'ami et confident du Régent, le chef de la Police Secrète, l'amant, en payant toutefois les Eunuques, de Long-Yu (voir paragraphe C), - veuve du dernier empereur Kuouang-SiuC, son ami aussi, mort en 1908 - , le père de son fils ... Segalen le croit, l'accompagne dans les espaces emboîtés de PékinC, la cité chinoise, la cité tartare, la Cité Impériale, la Cité Interdite incluant les espaces ouvert waichao et intime neichao, la chambre de l'Impératrice, son lit, son corps ... Il découvre aussi ses crises de syncopes, ses visions, doute de ses récits qui le captivent, jusqu'à ce qu'il le retrouve mort, peut-être empoisonné par ses ennemis, ou d'une ultime syncope.

La lecture du récit nous laisse tout aussi fascinés et indécis que le narrateur, et tout autant frustrés: nous sommes arrivés trop tard, la ''Cité Violette'', hantée de fantômes, a perdu ses prestiges et ses mystères et tout cela finit dans la révolution de 1911 et la prise de pouvoir par le général Yuan-Che-K'aï qui deviendra président de la République, Victor Segalen devenant médecin personnel de son fils en 1912.

Quand paraît la pré-originale en 1921, Victor Segalen aussi est mort, à 41 ans en 1919. Il a été retrouvé sur une colline boisée familière d'Huelgoat, 2 jours après son départ le 21 mai en promenade avec un casse-croûte, vidé de son sang par une blessure profonde à la cheville attribuée à un sicot, un reste de souche saillant. Suicide ou syncope? La préface de Gilbert de Voisins donne la version officielle: «... il succomba, le 21 mai 1919, à une hémorragie accidentelle, dans la forêt de Huelgoat, en Bretagne». Sa biographe Marie Dollé penche fortement pour un suicide : en convalescence d'une hospitalisation pour neurasthénie aiguë, auteur de lettres traduisant un désespoir atroce, épuisé, il était en uniforme, un exemplaire d'Hamlet à portée de main, et le médecin qu'il était devait réussir à poser le garrot ébauché. «Je suis convaincue que Victor Segalen a mis en scène sa mort, en cultivant l'équivoque comme dans toute son œuvre, en donnant à son suicide l'allure d'un accident.» dit-elle, pointant aussi ce tertre féodal sur lequel on l'a trouvé, rappelant les tumulus des tombeaux chinois tant aimés (voir note l'auteur 2). Reste à savoir, pour moi, jusqu'à quel point ce suicide était prémédité, n'a-t-il pas saisi l'occasion d'une blessure accidentelle pour se laisser volontairement mourir ?

Ce sont donc ses amis Jean Lartigue (voir paragraphe D) et Auguste Gilbert de Voisins, ses compagnons des expéditions archéologiques en Chine de 1909 puis de 1914, qui assurent les éditions de René Leys; ils avaient discuté ensemble du roman et même proposé des dénouements. Mais Victor Segalen lui-même avait laissé son roman encore en chantier et n'avait jamais signé de bon à tirer. Jean Lartigue a beaucoup corrigé le manuscrit, comme le souligne Sophie Labatut (voir note l'auteur 3), tandis que Philippe Rodriguez, biographe de Lartigue, minimise son intervention.

Après cette édition dite pré-originale en quatre livraisons, paraîtra l'édition dite originale chez Georges Crès, l'éditeur historique de Victor Segalen, en 1922, sans préface. La justification de tirage* comporte 24 exemplaires numérotés sur Chine, premier papier du tirage de tête* (dont les 20 premiers hors commerce*), avant 10 Japon (dont 3 HC), 44 grand vélin de Rives (dont 2 HC) et 22 pur fil Lafuma. L'achevé d'imprimer* est daté du 23 août 1922.

Elle est rehaussée par la splendide couverture au dragon (rempliée* pour les 100 tirages de luxe) dessinée par un autre ami de l'auteur, le peintre Georges-Daniel de Monfreid (1856-1929), par ailleurs auteur d'un portrait de Segalen en 1909, ami aussi de Gauguin et père de l'écrivain-aventurier Henry (né Henri) de Monfreid (1879-1974).

Je noterai trois choses à propos de cette couverture :

  • d'abord, G-D de Monfreid a modifié l'orthographe de Leys en ajoutant un tréma sur le Y. Ceci peut-être afin de rendre plus réaliste l'inversion phonétique Leÿs /Ciel, car il est question dans le roman du Fils du Ciel, l'une des appellations de l'Empereur de Chine, dont nul ne peut prononcer le vrai nom.
  • ensuite, je vois un lien ténu entre cette couverture 'au dragon' et la couverture de mon exemplaire en papier japonais Unryu (''Dragon dans les nuages'') ; c'était un choix très judicieux du commanditaire de la reliure.
  • enfin, je garde la troisième ... pour la fin.

Cette édition originale a été imprimée par Frédéric Paillart à Abbeville, ce qui fait que l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale, accessible en ligne sur Gallica, porte un tampon violet de dépôt légal de la Somme, numéroté 344 au crayon, juste sous la gueule du dragon de la couverture.
Notons que sa reliure est signée (encore) Laurenchet et cette fois datée 1967. Il est donc possible de dater une reliure...

Il est loisible de comparer la pré-originale (PO) et l'originale (EO), en gardant à l'esprit que les différences proviennent du travail d'éditionE de Jean Lartigue, peut-être guidé par l'épouse de Victor Segalen, Yvonne Hébert.

Il y a de très nombreuses différences typographiques (emploi des majuscules, changements de casses, signes de ponctuation), des différences textuelles (nous y reviendrons) dont la première porte sur le titre, et tout un travail sur les dates, parfois différentes entre PO et EO (en rouge), comme le montre le tableau que j'ai établi, ci-dessous.

Madeleine Micheau (voir note l'auteur 4) précise: « Paru d'abord dans quatre numéros de la Revue de Paris, de fin mars à début mai 1921, dans une version pudibonde intitulée D'après René Leys, le roman est ensuite édité chez Crès en 1922, non sans corrections injustifiées encore.». Le mot ''pudibonde'' interpelle et mérite évidemment d'être vérifié ! Et de fait, il y a plusieurs différences significatives entre les deux textes - est-ce l'influence d'Yvonne Hébert, soucieuse de l'image laissée par son époux? - mais rien de très scandaleux selon les critères d'aujourd'hui. On imagine les débats et scrupules soulevés pour ces éditeurs non professionnels, embarqués émotionnellement à titre personnel devant des allusions résonnant particulièrement pour eux, et face à un narrateur portant le nom de leur ami et époux dont ils savaient qu'il avait partagé une aventure très semblable avec Maurice Roy.

Ainsi, sans être exhaustif, par exemple p519 de la PO (soirée du 14/05/1911 au restaurant) manque le petit manège de séduction de Segalen envers sa compagne (noté ici en italiques) présent dans l'EO p79 et dans l'EC (Folio p107)

Je regarde passionnément mon épouse, moi ; je regarde ma belle Policière, Élue provisoire, maîtresse- postiche... Elle ne s'amuse certainement point. Elle remplit auprès de moi une fonction honorable. Elle a dormi beaucoup aujourd'hui, pour être si naturellement éveillée ce soir. J'ai des scrupules à troubler cette sérénité si... professionnelle. Pourtant, voici qu'elle consent à s'asseoir à peine, comme on embrasse du bout des lèvres, sur la pointe extrême de mon genou. Oserai-je ? De ses pieds à la ceinture, rien à prétendre. De son cou, hautement cravaté de soie, à la ceinture, rien à espérer non plus. Reste la ceinture, zone chaste, dépolie et mate au toucher, ni tiède ni chaude sous la jaquette à la mode, à pans droits. Sans grand espoir, je caresse la zone. Mais tout d'un coup, voici la propriétaire du terrain, debout, indignée... Maladresse de ma part, ou empiétement ? — Non. Ma Policière désigne et accuse la cloison, faite surtout de nombreux interstices... Et en effet : nous sommes, à travers la paroi, épiés, dénombrés, considérés à loisir par des yeux malicieusement européens : nous faisons la joie de ces dames mariées. Elles nous envient ? plutôt nous ridiculisent d'être si prudes, à cette heure, et si peu avancés... J'ai quelque envie de rendre par le regard œil pour œil.

A la p801 de la PO (3/08/1911) est absent un § concernant la 3ème épouse de M Wang, rétabli dans l'EO p138, et l'EC (Folio p165) Après le repas, la nuit commence. La nuit, faite dans la meilleure société de promesses, d'aventures, d'essais, et de refus... Certes, grâce au mari-professeur, mon entretien se prolonge. Madame Wang a compris déjà que rien de sa personne ne me déplaît, et mieux que des mots bégayés et sans doute ridicules, — l'attention, la politesse exagérée, même européenne, que je lui prête, lui traduisent mes plus momentanés sentiments. Même, — le vin de roses ou de maïs aidant aux illusions brèves, — j'en arrive à me demander si la... suite serait possible... (la nuit et le mari aidant) si, entre l'étranger, accueilli ou toléré que j'ai conscience d'être, et cette jeune femme mandchoue, si... quelque chose ne pourrait exister, au prix de gestes ou de mots, ou d'argent, — autre chose que ce qui se passe et va passer : un obscur état de désir ou d'ironie.

Je la regarde : elle rit à un geste que je fais. Je l'amuse. Je la distrais. Mais il m'amuse à mon tour de savoir si elle considère l'amour physique et tout ce qui s'ensuit comme un jeu d'enfant aussi (et c'est une hypothèse), ou bien comme une honte, une nécessité, un service, une fonction, une aventure, une mode, un moment, une habitude, une manière bien apprise, une cérémonie, un sacrifice, un rite enfin, réglementé par des pages précises de la Bible physiologique inculquée dès le sein maternel à toutes les femelles fécondables sur la terre et dans les enfers !

Ah ! si j'étais romancier, que la chose serait vite réglée ! Vite ! un 3,50 en 300 pages !

A la p812 de la PO (25/08/1911), ce sont quelques mots qui ont disparu par rapport à la p158 de l'EO et à l'EC (Folio p184): René Leys s'interrompt.
Il me semble pourtant que nul conseil ne pouvait être formulé d'une façon plus classique, plus pure de langage, plus énergétiquement à propos. Je ne vois rien à reprendre à cela.
— L'Empereur, désirant faire plaisir à son ami, en suivant son conseil, s'est approché de l'Impératrice, et s'est étendu sur elle. Mais alors, — comme il avait un peu trop bu de vin pendant les huit à dix jours de fête, — il a oublié d'agir, et il s'est endormi...
Je regarde avec admiration René Leys. Rien ne pouvait évoquer avec plus d'angoisse le fantôme disparu, l'Impuissant, l'lnachevant par Raison d'État...
René Leys a-t-il vraiment conscience de la valeur de ce qu'il dit ? Et surtout, qui a bien pu lui raconter cela ? Un Eunuque ? Il n'aurait pas compris ! Une suivante... n'eût osé...
Lui demander d'où lui vient cette anecdote si conjugale ? Si spéciale ? Jamais je n'oserais moi-même ...

De même, pages 822 et 824 de la PO (20/09/1911), deux § suggestifs ont disparu par rapport à l'EC (Folio p200 et p204):
— C'était bien composé, votre petite lettre chinoise: on aurait dit des « caractères accouplés se faisant vis-à-vis ». J'ai saisi l'allusion historique... C'est bien Elle qui m'a...
Ici, un verbe bien français que je me refuse à noter, purement par décence chinoise. Bien que son usage remonte à la plus haute antiquité, il est surtout connu par notre Français moderne par un emploi tout inverse, et emprunte à Jeanne, Pucelle d'Orléans, son héroïsme et sa signification conquérante!
J'ai donc pressenti ou calculé avec exactitude. En termes précis et policiers, « la Vierge s'est enfin accordée au Prince » (si l'on invertit les sexes dans cette proposition). C'est parfait. Mais lequel des deux dois-je féliciter ? Elle, d'avoir choisi avec goût en dehors de sa race ? Lui, d'avoir été choisi par Elle ? Le voici Chef de la Police Secrète et amant officieux de Celle qui ne doit point en avoir d'officiels. Ami du Régent! [ ... ]
Grâce à lui, je pénètre véritablement le milieu le plus intime du Palais. Ce jeune homme est jeune au point de donner comme histoires amicales et amusantes tout ce qu'un homme fait, dompteur de femmes, tient à cœur de garder jalousement pour lui. C'est ainsi que j'apprends sans détours « qu'elle est moins grasse que ne la représentent ses portraits » — et que, même déshabillée, elle garde toujours ce « petit triangle de soie qui pend entre les seins et le ventre, et forme une ceinture un peu haute, à la mode mandchoue »... Le reste, tout le reste, m'est livré en peu de mots.
Alors, pourquoi m'épuiser à épiloguer sans but sur le petit triangle de soie... — peut-être préservateur hygiénique à l'encontre du froid ombilical ? peut-être l'attribut d'un tiers-ordre bouddhique, peu connu et qui purifie tous les gestes, tous les plaisirs. coupables du déduit ?...
Il continue :
— Quand l'hiver arrive, le lit de briques est officiellement réchauffé. La chaleur se répand de là dans toutes les salles, et les boiseries se mettent à sentir bon. On les a faites exprès en bois de santal et de cèdre. Alors tout le Palais se met à sentir bon.

A la p117 de la PO (après le 13/11/1911), c'est tout un chapitre qui manque par rapport à la p227 de l'EO et à l'EC (Folio p251): Il est peut-être temps de le rappeler à lui — quelques tapes dans les mains ... une serviette mouillée sur la figure. C'est fait. Discrètement je le laisse redescendre tout seul en ce monde réel.

14 NOVEMBRE 1911. — Il revient de lui-même sur cette aventure d'hier soir, et me dit, un peu gêné :
— C'est la première fois que vous me voyez m'évanouir ?
— Non. La troisième.
Tout à fait déconcerté, il se livre, et m'avoue que « d'autres choses lui font peur » parce que dans « ces moments » il ne sait pas qui il est, ni dans quel endroit il se trouve.

Et il précise, avec des mots cherchés, un très curieux état de transposition visuelle dont je ne connaissais pas d'autre exemple : ainsi, quand il se promène en un point précis de Pei-king, mettons, dans une rue au Sud-Ouest, il a tout d'un coup la certitude de voir, devant lui, mais comme dans un miroir aux images symétriques, le point correspondant, mais en diagonale exacte ; en ce cas : la ruelle du coin Nord-Est ; mieux : il se promène à sa guise dans ce lieu géométrique, aussi longtemps qu'il garde les yeux grands ouverts ; sans ciller. Il lui faut aussi ne pas respirer. Le détail vraiment neuf est que tous ses mouvements subissent la même transposition diagonale : il tourne à droite s'il veut aller à gauche... Ceci arrive sans qu'il y prenne garde... il ne peut pas obtenir ses « visions » quand il le désire..., mais quelquefois il en a trois ou quatre dans la même journée... et... c'est alors bien fatigant 1 Je dis, innocemment, presque affectueusement : — Vos entrées dans le Palais ne sont-elles pas un peu... influencées par ces «visions » ?

Il persiste à chercher des mots, pour lui-même, et à formuler des « souvenirs » :
— Je commence à comprendre pourquoi j'ai si peur de monter sur les murailles ou dans les tours...
— Pourquoi ?
— Parce que... une fois cela m'est arrivé et que naturellement je me suis vu noyé au fond d'un...
Oui. Je comprends moi aussi. Dans « ces moments particuliers » il vit dans un espace. inversé bout pour bout, avec d'horribles angoisses de pénétration dans la matière ou de pesanteur à l'envers...
D'autres diront : angoisses imaginaires. C'est possible. Il en invente peut-être le sujet, l'anecdote : partie méprisable ! Je prétends qu'au moment même où il me parle et se confie, elles sont réelles, ces angoisses, d'une intensité enviable, presque redoutable... Et pourtant, je voudrais bien savoir.
— Vous avez eu des « visions » de ce genre dans le Palais même ?
— Non.
Il pousse un terrible soupir mécanique. Il respire comme on souffle... Ces alertes ne valent rien pour un « cœur » adolescent, un cœur au physique, ce muscle creux ! Il est temps de revenir à des sujets pleins et moins vertigineux, à des à-propos familiers... Je m'informe donc :
— Depuis quand ne L'avez-vous pas revue ?

— Depuis avant-hier. — Non ! depuis trois nuits.
— Oh ! dites-moi ... mais c'est assez délicat... si vos premières « nuits » vous coûtaient cher...
— Oui, six mille dollars...
— Pardon ! Quatre mille... J'ai le reçu dans ma poche ! Comment faites-vous pour acquitter le péage, maintenant que votre école est fermée et la Banque?.. Mais vous savez que je plaisante... Et d'ailleurs je suis à votre entière disposition... Il ne faudrait pas vous arrêter en chemin... Si vous aviez besoin d'un service ou d'un refuge, ou d'une mise en sûreté de ce qui vous est précieux...
— Non. Les Eunuques savent bien que j'ai tout perdu. Je leur fais des billets à terme sur mes appointements futurs... Pourtant, si j'ai un service à demander jamais à quelqu'un, c'est à vous que je m'adresserai... soyez-en sûr. Vous n'aviez pas besoin de me le répéter. Si j'ai quelque chose de précieux à cacher, je vous le porterai ici... Je l'ai déjà fait...
C'est vrai. Et quelle meilleure promesse ?
MÊME SOIR — Lui parti, je reste tout d'un coup singulièrement gêné devant moi-même. Voilà moins d'une année que je connais ce garçon. Il m'a raconté toute son histoire, et ses histoires. Je n'en ai rien dit à personne. Je dégustais le développement et la saveur sans un doute sur la réalité.
Or, aujourd'hui, — est-ce d'aujourd'hui seulement ? — je doute de quelque chose ... c'est à dire, d'un seul coup , — de tout.

Au passage, pages 120 et 121 de la PO (p234 et 237 de l'EO, repris dans l'EC Folio p258 et 261), nous pouvons noter une petite incohérence de temporalité:

Il s'installe, allongé sur la même chaise, dans le même confort, mais plus intime par huit mois [ je souligne] de confidences et l'enfermé dans la maison d'hiver.
[ ...] En vérité, je me le dis : il parle comme il a toujours parlé depuis six mois. Mais j'avoue ne plus écouter de même.

Nous sommes le 18 novembre 1911, ils se connaissent depuis avant le 20 mars (PO) ou le 28 février (EO), date à laquelle Segalen narrateur écrit, p264 de la PO, p14 et 15 de l'EO, p44 de l'EC Folio :

Mon professeur s'étonnerait fort du but véritable de mes entretiens avec lui. C'est le bon fils d'un excellent épicier du quartier des

Légations. [ ...] C'est un bon professeur. Je l'engage pour un mois de leçons encore. Et, d'avance, je déclare renoncer à tout.
A cette époque, les cours de René Leys à Segalen durent donc depuis au moins un mois renouvelable. Leurs relations et confidences remontent ainsi à plus de 9 (PO) ou 10 (EO) mois, mais «moins d'une année» (voir ci-dessus: PO p117 – 13 novembre, EO p230 – 14 novembre 1911), c'est à dire ni huit ni a fortiori 6 mois.

Enfin, la «pudibonderie» est à son comble lors de l'interrogatoire précis de René Leys par Segalen le 18 novembre :

Reste à savoir pourquoi Jean Lartigue, s'il a travaillé à l'EO, est revenu si vite sur ces choix pudibonds initiaux.

Aller plus loin...

Je renvoie à l'étude monumentale de Sophie Labatut, pour éclaircir tout ce qui peut l'être sur la genèse de l’œuvre, à travers ses travaux précurseurs : Le Fils du Ciel, Les Annales Secrètes d'après M.R. après la rencontre en 1910 de Maurice Roy, le modèle de René Leys (mais lui, il raconte à Victor Segalen que c'est une fille qui naît de ses amours impériales), et sa suite Révolution, Notes & Plans, ses courriers et tous les documents qu'elle a pu rassembler, en sus de l'étude des manuscrits A (1913-14) et B (1916).

C'est «une édition savante et superbe» d'après Simon Leys (voir note l'auteur 5), que j'approuve. Après un tel travail, toute approche de René Leys, comme la présente, ne peut être que modeste.

René Leys, pour Henry Bouillier (1924-2014), le maître des études segaleniennes depuis sa thèse de 1961, aurait poussé l’amitié jusqu’à mourir, non pour sauver la face, mais pour éviter de renverser l’échafaudage d’imaginaire de son narrateur:

«Il a peut-être fini, tel Saint Genest [ martyr sous Dioclétien, patron des comédiens et sujet d'une tragédie de Jean Rotrou en 1646], par entrer dans la peau de son personnage, comme pour démontrer que les puissances de l’Imaginaire sont capables d’informer même le Réel.»

Je ne peux m'empêcher de citer à nouveau Madeleine Micheau, pour montrer le soin porté à ses manuscrits par Victor Segalen et rêver au trésor bibliophilique qu'ils constituent:

«On ne peut s'empêcher d'être saisi par l'émotion au moment d'ouvrir le manuscrit A : c'est un livre luxueux, relié plein parchemin crème, au format légèrement augmenté (31,5 x 24 cm) des feuilles de papier Morin translucide et sec sur le recto desquelles Victor Segalen rédige à la plume d'oie ou au stylographe, usant d'encre à la densité de brun variant selon la dilution des pigments. Le crayon de papier, les crayons rouge et bleu, utilisés lors des relectures pour corriger, mettre de l'ordre, apposent leurs touches colorées au fil du texte ou dans les marges copieuses que Segalen préserve en justifiant le texte à droite comme à gauche selon le modèle de l'imprimé. Les matériaux, comme la mise en livre, appartiennent à la manière segalenienne. Le calque d'architecte est envoyé de France, découpé au format choisi. L'encre emprunte ses pigments à la Chine et le livre manuscrit, avec couverture, page de titre, dédicaces, justification de tirage, prière d'insérer, table des œuvres..., existe en exemplaire unique, réalisant le vœu bibliophilique.» Il se trouve au département Manuscrits de la BNF.

Et de laisser le dernier mot à Sophie Labatut qui, contrairement à Jean Lartigue, expose les principes qui l'ont guidée dans sa notice de l'édition Gallimard Folio d'après son EC de 1999 :

«Nous donnons le même et nouvel établissement du texte, qui veut respecter à la lettre le manuscrit et offrir le texte tel quel, en formant le pari que le manuscrit, malgré certains problèmes de lecture, constitue déjà un texte littéraire à part entière, ou du moins que les difficultés résiduelles ne gênent pas la lecture de René Leys en tant que roman — difficultés résiduelles que, de toute façon, nous ne saurions résoudre à la place de Segalen. On n'y trouvera donc ni la répartition chronologique en dates du journal du narrateur (voir note l'auteur 6) (qui avait été faite par Lartigue) ni le plan inaugural (ajouté par Annie Joly-Segalen, fille et continuatrice éclairée de l'auteur, qui s'était chargée de l'édition de 1971) : Segalen, tout en séparant les séquences diaristes de René Leys n'avait stipulé que la première date sur le manuscrit; le dossier Notes et Plan comportait un plan chinois magnifique, que Segalen utilisa pendant l'élaboration de René Leys [...]

Les principes d'édition qui ont guidé notre travail sont ceux du respect maximal du texte légué par l'auteur, cadre spatio-temporel, mais aussi noms chinois de l'époque, qui obéissent à la transcription (d'ailleurs quelquefois approximative ou changeante chez Segalen) de l’École Française d'Extrême-Orient, en vigueur en ce temps-là, majuscules flottantes qui s'opposent arbitrairement aux adjectifs de nationalité ou aux points cardinaux par exemple, incohérences apparentes ou réelles dues aux corrections ou modifications interlinéaires de l'auteur, et utilisation récurrente des tirets — tout vient de Segalen, de sa manière d'écrire qui tient d'un style et d'une graphie ''Art Nouveau'' et très personnels à la fois, et nous plonge dans une lecture qui prend, du coup, la saveur d'une aventure qui nous paraît aujourd'hui, un peu ... exotique.» avant de recommander, après tous ces aperçus, la (re) lecture (voir note l'auteur 7) du roman posthume (voir paragraphe F), ironique (voir note l'auteur 8), mystérieux (voir note l'auteur 9), fascinant...

A - Victor Segalen (1878-1919) Écrivain.

Je renvoie aux biographies détaillées de Victor Segalen, en notant seulement que :
- il sera longtemps hanté par l'image de sa mère Ambroisine, catholique, très autoritaire,
- sa myopie l'empêche de devenir officier de Marine, l'orientant vers la médecine,
- il s'intéresse très tôt aux maladies mentales et consacre sa thèse aux ''névroses dans la littérature contemporaine'',
- il arrive à Hiva-Oa en mai 1903, peu après la mort de Gauguin, aide à la vente de ses biens, rapporte sa palette pour son ami G.D. de Monfreid, une peinture et des carnets de dessins pour lui-même,
- il épouse Yvonne Hebert, fille d'un médecin de Brest, en juin 1905; naîtront Yvon (Brest, avril 1906-2000), Annie (Tsien- Tsin, août 1912-1999), et Ronan (Tsien-Tsin, novembre 1913-2006),
- il commence à apprendre le chinois en 1908 et suit quelques cours du sinologue Chavannes, futur maître aussi de Lartigue,
- il est reçu officiellement dans la Cité Interdite en juin 1910, peu après sa rencontre avec Maurice Roy, 19 ans, qu'il fréquente en 1911- MR lui adresse 12 lettres - puis ne retrouvera qu'en 1917, où il le jugera « insipide, gentil, fini »,
- lors de la mission (La Grande Diagonale) de février-août 1914 avec Voisins et Lartigue, ils localisent le tumulus de Ts'in Che Houang-ti (IIIè av JC), toujours non fouillé, auprès duquel sera découverte en 1974 l'armée de terre cuite,
- il est au front et blessé dans la brigade de fusiliers marins de l'amiral Ronarc'h en 1915,
- il revient en 1918 d'une troisième expédition en Chine très fatigué, sevré de l'opium, affecté par les morts de Chavannes et Debussy (il l'admirait et avait collaboré avec lui de 1906 à 1916 ) et se lie à nouveau avec Hélène Hilpert, amie de jeunesse,
- hospitalisé au Val de Grâce début 1919 pour 'neurasthénie aigue', puis convalescent en Algérie, il écrit à Lartigue «... Je constate simplement que la vie s'éloigne de moi.» Toute son œuvre sauf Les Immémoriaux, Stèles et Peintures sera posthume.

B - Auguste Gilbert de Voisins (1877- 1939). Écrivain.

4ème comte Gilbert de Voisins, né à Dinard, il passe son enfance en Provence, vient à Paris en 1898 et entreprend des voyages en Europe, en Afrique du Nord, puis au Sénégal et au Dahomey. Il raconte dans sa préface de D'après René Leys comment Claude Farrère lui présenta Victor Segalen, par surprise, sur le quai de la Vieille Darse du port de Toulon «quelque sept ans avant la guerre». En 1909, il accompagne Victor Segalen à Pékin, d'où ils partent à cheval pour un voyage de dix mois en Chine occidentale. Tous deux repartent en Chine en 1913, accompagnés de Jean Lartigue, pour une mission archéologique, interrompue par la Grande Guerre. Même pendant ces missions, Augusto se préoccupe essentiellement de littérature. Il participe au club des Longues Moustaches, puis épouse, en 1915, Louise de Heredia (1878-1930), fille du poète José-Maria de Heredia, divorcée de Pierre Louÿs (né Pierre Félix Louis) dont il avait été l'ami depuis 1897. Augusto est le parrain d'Annie Segalen.

Dans son Journal, début 1910, Jean Lartigue donne un savoureux portrait croisé de Victor et Augusto :
« Autres voyageurs – Ceux-ci viennent de loin: en route depuis le printemps, ils ont fait à cheval le grand voyage de Péking à Tcheng-tou par Si-an-fou et Lan-tchéou. Ils ont laissé leur caravane à Tcheng-tou, et descendent par jonque, ayant fait en passant l'ascension du mont Omi. Ce sont Victor Segalen, médecin de marine, et Gilbert de Voisins, romancier. Le couple étonne d'abord par sa disparité. C'est la nuit et le jour. Voisins est le faune provençal: grand, le front en bélier surmonté d'une corne de cheveux noirs, une belle barbe luisante, dont sa main parcourt volontiers la longueur. Une voix chaude comme les routes de son pays, onctueuse comme l'huile des oliviers, une parole abondante, bien cadencée, satisfaite de couler, ainsi que l'eau d'un aqueduc par dessus les flots sombres de sa barbe. Segalen est de taille moyenne et paraît petit. Il est mince et paraît chétif. Un cou d'enfant supporte comme un poids exagéré, au dessus de sa figure trop délicate au mention pointu, un grand front pâle, et un crâne vaste couvert de cheveux blonds frisés dru. Ses yeux sont brun-velours sous le lorgnon de myope. Ses lèvres s'entrouvrent à peine pour laisser passer de brèves paroles bien articulées, avec la force juste suffisante pour qu'on les saisissent. Réservé, ne faisant rien pour attirer les regards ou forcer l'attention, il plaît dès qu'on l'approche : sa parole se fait facilement expressive et nuancée, et l'on sent qu'elle prend sa source dans un lac profond de pensées.»

C - Kuouang-Siu, Long-Yu, Pékin

Kuouang-Siu (1871-1908) ou Guangxu 光緒帝 né Zaitian est l'avant-dernier Empereur de la dynastie mandchoue Qing. Sa tante, l'Impératrice douairière Cixi (1835-1908) le met sur le trône en 1875, après la mort à 18 ans de Tongzi, son propre fils. C'était contraire aux traditions, puisqu'ils étaient de même génération. Du 1er juin au 21 septembre 1898, il écarte sa tante, prend le pouvoir et tente des réformes éclairées. C'est 'La Réforme des Cent Jours' que Cixi stoppe par un coup d'état en le déclarant fou et en l'enfermant. Il est mort sans descendance, sans doute empoisonné par ordre de Cixi, elle même agonisante mourant le lendemain. Il avait épousé en 1889 Xiaoding (1868-1913), nièce aussi de Cixi, qui prit le nom de Long-Yu en devenant Impératrice douairière. Elle fut co-régente du dernier empereur Pu-Yi et signa son acte d'abdication en 1912. Nous vérifions avec cette photo, que comme Long-Yu, et comme Madame Wang, « les Dames Mandchoues ne sautillent point sur des moignons aiguisés; elles marchent hautement, le pied à plat sur les épaisses semelles blanches » (René Leys, 13 mai) ... mais aisément ?

D - Jean Lartigue (1886-1940) Officier général de la Marine.

A ne pas confondre avec le photographe Jacques-Henri Lartigue (1894-1986). Fils d'officier de la Marine, il eut pour parrain Julien Viaud/Pierre Loti. Il fut l'ami de Victor Segalen de 1912 à 1919, selon trois périodes distinguées par son biographe Philippe Rodriguez (voir note l'auteur 10): Admiration (1912-14), Interrogation (1915-17), Crispation (1917-19). Jean Lartigue fut un officier extrêmement apprécié et bien noté, malgré la surdité partielle qui le handicapait, et promis à un bel avenir; il apprit le chinois, était compétent en cartographie, hydrologie et photographie, prit une part importante à la mission archéologique et géographique Segalen/Voisins/Lartigue en Chine de 1914 et à l'édition de ses résultats, alors que sa contribution a été inexplicablement minorée par la suite. Protestant, il attendit plusieurs années que sa future femme Andrée, catholique, épouse d'un banquier de Shanghaï que lui avait présenté Segalen en 1912, fasse annuler son premier mariage à Rome, pour l'épouser en 1916. Andrée fut la marraine d'Annie Segalen. Ils eurent un fils, François, Jean, Victor (pour Francois Faÿ, son ami et compagnon des premières missions hydrographiques sur le Yangzi en 1910 sur la canonnière Doudart de Lagrée, décédé en 1918, et pour Victor Segalen); devenu enseigne de vaisseau, il disparaîtra en 1942 avec le sous-marin Actéon. Jean poursuivit une brillante carrière militaire comme pionnier de l'aéronavale, qu'il s'efforça de promouvoir, malgré les réticences, comme de Gaulle pour les chars, après avoir passé tous les brevets de pilote (ballon libre, dirigeable, avion, hydravion, planeur !). Nommé contre-amiral et chef du Service Aéronautique Naval en 1939, il trouva la mort le 22 juin 1940 sur le terrain d'aviation de Rochefort, dans un bombardement allemand, alors qu'il organisait l'évacuation de ses escadrilles.

Concernant René Leys, P Rodriguez écrit: «La part prise par Lartigue dans l'édition de René Leys semble avoir été moins importante qu'on ne l'a dit, comme il le laissa entendre dans une lettre à Andrée du 30 novembre 1920 :

J'ai vu Louise et Augusto, ce qui m'a permis de parler de René Leys sans trop soulever d'aigreur. L'histoire prend une nouvelle tournure de par l'intervention de Chaumeix (voir note l'auteur 11), qui a déclaré à Yvonne qu'il veut donner le manuscrit tel quel. Yvonne a téléphoné cela séance tenante à Augusto. Il était un peu estomaqué de l'algarade, mais je m'attendais au pis! Toujours est-il que cette intervention me tire du mauvais pas où je m'étais mis, entre l'enclume et le marteau. En te quittant, je vais chez Yvonne pour voir Chaumeix. Je saurai ainsi sans intermédiaire son opinion. »

Il parle ici de la PO. Lartigue, toujours scrupuleux et engagé, a sans doute plus contribué qu'il ne le dit. Il a donc vraisemblablement, comme nous l'avons vu, établi le canevas temporel du journal du narrateur dans René Leys.
Notons aussi qu'au moment de la parution de l'édition originale, sur laquelle il a pu garder un œil à distance par le truchement d'Augusto, Lartigue était loin et avait d'autres soucis. En effet, il avait embarqué le 28 avril 1921 (fin de la parution de la PO) sur le Paul Lecat à Marseille pour Shanghaï afin de rejoindre son poste en Chine, comme commandant du Doudart de Lagrée, qu'il retrouvait, sur le Yangzi (Fleuve Bleu). Le 12 août, la canonnière remontant à grande vitesse, se déchire sur le 'rocher de la scie', dont l'affleurement a été mal calculé par le pilote chinois. Lartigue se juge pleinement responsable et prend toutes les mesures pour dégager le navire, le faire remorquer à Hankéou, puis à Shanghaï, où il supervise sa refonte complète pendant de nombreux mois, tandis que Andrée et François s'installent à Hankou. Lartigue appareille le 14 octobre 1922 et rejoint enfin sa famille le 22 novembre à Chongqing où il prend le commandement de la flottille du Yangzi. Contrairement à ses craintes initiales, il est nommé capitaine de frégate en juin 1922 et bénéficie d'une appréciation élogieuse de l'Amiral Commandant de la Division Navale d’Extrême-Orient: «Monsieur Lartigue a fait preuve, dans le commandement du Doudart de Lagrée, de qualités hors-pair qui le classent parmi nos meilleurs officiers: haute énergie morale, sang-froid parfait, capacités techniques remarquables, vaste érudition, culture générale étendue, jugement sûr et droit. A provoqué, dans des circonstances critiques, l'admiration de ses subordonnés. Il est regrettable qu'une légère paresse d'oreille et une certaine difficulté d'élocution nuisent à la mise en valeur de cette nature exceptionnelle.»

Parmi ses œuvres, outre de nombreux articles archéologiques et des journaux d'expéditions, un article titré Esquisse d'une flotte française hydraérienne in La Revue Maritime 1937, un drame autobiographique inédit en trois parties Armil, portant sur Jean et Andrée, Victor et Yvonne à Pékin, un témoignage sur son expérience de la Grande Guerre A l'Ecole du Réel 1920, et une préface, non reprise dans les éditions ultérieures, à Equipée de Victor Segalen, dont il assura aussi l'édition en 1929 chez Plon.

Notons enfin que Lartigue, avant leur rencontre le 31 décembre 1909 à Chongqing, décrite dans le fragment de Journal ''Autres voyageurs'' ci-dessus, avait déjà croisé Segalen à Bordeaux au tournant du siècle chez des amis communs, les Lidy. Lartigue étant jeune lycéen et Segalen étudiant en médecine. Il allait devenir ensuite son ami le plus exigeant.

E - Dans le cas de René Leys, nous pouvons donc discuter les appellations d'édition pré-originale et originale.

Revenons à quelques articles consacrés par le Dictionnaire du Manuel de Bibliophilie aux éditeurs et aux types d'édition:

ÉDITEUR (n.m.). Personne qui se charge, à partir du travail d'un auteur (qui a écrit un texte, formulé un projet, pris des photographies...) de mettre en chantier et de réaliser un livre. L'éditeur choisit, dirige et coordonne les différents corps de métiers associés à la réalisation. Une fois le livre imprimé, l'éditeur se charge de sa commercialisation.

ÉDITEUR SCIENTIFIQUE (ou ÉDITEUR INTELLECTUEL). Personne qui met au point le texte d'un auteur, généralement disparu, et le publie avec un appareil critique* plus ou moins développé (préface, notes, commentaires, variantes*, etc.). Il se confond rarement avec l'éditeur*, davantage lié à l'aspect matériel et commercial du métier.

ÉDITION. Publication d'une œuvre sous forme manuscrite (autrefois), imprimée et de nos jours également gravée, enregistrée, filmée, etc. Une édition est l'ensemble des exemplaires imprimés à partir d'une même composition*. Elle peut englober plusieurs émissions caractérisées par une utilisation plus tardive des mêmes feuilles d'impression avec seulement un titre nouveau; par des impositions différentes donnant des formats* in-quarto, in-huit ou in-douze avec typographies identiques; par des états à la suite de cartons* ou de corrections faites en cours de tirage.

ÉDITION DÉFINITIVE. Édition que l'auteur ne retouchera plus et dont le texte fait autorité. Synonyme d'édition ne varietur (locution latine signifiant qu'il ne peut être fait de modification. Se dit d'un texte fixé, d'une édition définitive que ni l'auteur ni les ayants- droits ne changeront plus).

ÉDITION ORIGINALE. Première édition d'une œuvre imprimée, publiée avec le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droits. [ ... ] Dans l'entre-deux guerres, une polémique a mis aux prises deux conceptions de l'édition originale qui montre la charge symbolique dont on l'a investie. La première accordait ce titre sans autre considération que l'antériorité (fut-ce à une édition pirate*, fautive et désavouée par l'auteur); la seconde reconnaissant à l'auteur un droit imprescriptible à publier lui-même son œuvre quand, où et comme il l'entendait, donnait la priorité à l'édition résultant de sa seule décision. Il s'agissait, on le voit, d'un affrontement entre le droit et la chronologie.

ÉDITION PRÉ-ORIGINALE. Première impression d'un texte dans un périodique. Réunion en volume des numéros du périodique dans lequel un ouvrage a paru pour la première fois en fragments.

ÉTABLIR. Faire établir un livre, c'est, à partir d'un exemplaire moyen, prendre des dispositions pour lui donner la forme qu'un bibliophile averti doit exiger avant de le placer dans sa bibliothèque. Il convient non seulement de le faire relier avec soin par un artisan éprouvé, mais encore de faire procéder à un contrôle – collationnement – et, s'il y a lieu, à des réfections ( raccommodage de déchirures, gommage, lavage et éventuellement, repliage de feuillets importants et fragiles dépassant des marges, réintégration de feuillets manquants prélevés sur d'autres exemplaires eux-mêmes incomplets, confection de chemises, d'étuis-boîtes pour des exemplaires spéciaux ...) Tout ce qui peut embellir et en même temps protéger un livre nu doit être mis en œuvre. Ces soins, longs et coûteux, ne doivent s'appliquer qu'à des volumes de qualité certaine.

Remarque: cette dernière définition est différente de celle de l' ''établissement du texte'' employé couramment au sens de l'édition scientifique. Il y a encore des ambiguïtés de vocabulaire! Je peux dire que, suite aux imperfections matérielles relevées, mon exemplaire de la PO n'a pas été établi de façon optimale et que par ailleurs son édition scientifique réalisée par un non spécialiste est sujette à caution.

Ainsi, dans le cas de cette ÉDITION POSTHUME sur la base d'un manuscrit encore en chantier, presque abouti mais abandonné sous l'effet de la ''neurasthénie aiguë'', le consentement de l'auteur n'est pas acquis, et celui des ayants-droits (son épouse et sa fille juridiquement, ses amis proches, parties prenantes à l'écriture même, virtuellement) est implicite, matérialisée par l'édition. Ils ont indéniablement la priorité chronologique, et ont donc livré, avec la PO et l'EO une PREMIÈRE ÉDITION, on pourrait même la qualifier d'EXPURGÉE*, mais ils étaient non spécialistes de l'établissement du texte, émotionnellement concernés, et n'ont donné aucune explication sur leurs choix. Le nouvel établissement du texte, en 1971, par Annie Joly-Segalen, ayant-droit légitime, peut-être par sa décision qualifié d'ÉDITION DÉFINITIVE. Pouvons nous dire alors que seule une ÉDITION CRITIQUE argumentée et documentée pourrait prétendre à refléter le dernier état de la volonté de l'auteur ? Et devenir ainsi ce qu'aurait été la vraie ÉDITION ORIGINALE ? En tous cas cette EC porte sur son coffret la mention ÉDITION COMPLÈTE ! Je laisse donc cette question ouverte et je remercie maintenant tous ceux qui ont permis à ce(s) texte(s) de ne pas rester inconnu(s).

F - Au choix parmi les différentes éditions :

- D'après René Leys, in La Revue de Paris, 15 mars-1er mai 1921. Préfacé par Auguste Gilbert de Voisins. Texte établi par Jean Lartigue.
- René Leys, Paris, Georges Crès, 1922. Couverture ornée du dragon de G.D. De Monfreid. Reprise chez Plon (qui a racheté Crès) en 1929, sous couverture de relais.
- René Leys, Les Cent Une, édition de luxe (134 exemplaires), 1952. Illustrée par Chou Ling

32,5 x 22 cm, 2 fascicules petit in-folio, 184 (5) pp. en pagination continue sur papier double, 38 compositions originales gravées sur cuivre et tirées à la main en sanguine selon un procédé utilisé pour la première fois dans un livre occidental, 2 volumes cousus à la chinoise sous couvertures de soie bleu-vert présentés sous deux plaques de laque noire à liens de soie, coffret-étui couvert de soie fermé par deux onglets d'ivoire (reliure du maître-laqueur Tchou-Tse-Tsin). Tirage à 134 exemplaires, tous sur papier de Chine double Yu-Pan, celui-ci nominatif (n° 70, Mme Pierre Bernheim) et signé au colophon par Chou Ling. L'artiste s'est inspiré des cachets personnels de Segalen et d'autres inscriptions chinoises, des objets du Palais et de sceaux impériaux, le tout parsemé de compositions d'inspiration Han. Avec son beau coffret, dont la maquette est due à l'artiste et ses deux épais ais de laque, cet ouvrage constitue l'une des réalisations des Cent Une les plus réussies. ( MONOD 10236) (Julien Mannoni 29 mars 2012)

- René Leys, Paris, Collection Blanche Gallimard, 1971. Nouvel établissement du texte (Annie Joly-Segalen). Reprise en 1978 (collection L'Imaginaire). Qualifiée de définitive.
- René Leys in Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1995, reprise de la précédente, présentée par Henri Bouillier. 2 vol.

- René Leys, Paris, ed. Chatelain-Julien, 1999. Nouvel établissement. Édition critique établie, annotée et présentée par Sophie Labatut. Préface de Michel Butor. 2 tomes brochés sous coffret. (EC Reprise en Folio Gallimard, 2000).

Je note cependant qu'un vide mystérieux a été laissé dans la pagination continue des 2 tomes.

En effet le T1 et le T2 se terminent chacun par une table des matières complète de l'ensemble.
Pour 'Marginales et variantes', la Table du T1 donne p577, la Table du T2 donne p557, la pagination réelle de la page de titre illustrée est p577, et la numérotation du T1 se termine p721, suivie de 3 feuillets sans numéro.
Pour 'Notes et Plans', la Table du T1 donne p729, la Table du T2 donne p729 aussi, à tort, car la pagination réelle est p741, début de la numérotation du T2, après 6 feuillets non numérotés.
Est-ce l'irruption du vide taoïste ?
Ou tout simplement la prise en compte, sans les numéroter explicitement, des pages de garde*, de titre, intercalaires blanches, pages de sommaire ? Cela correspond ainsi mais reste étrange et inhabituel. Je tends à préférer la première hypothèse ...

... en attendant sa publication dans le cadre des Œuvres Complètes (18 volumes prévus) en chantier chez Honoré Champion, plus rapidement peut-être dans celui d'un tome d’Œuvres à la Pléiade Gallimard, dirigé par Christian Doumet et Philippe Postel et annoncé, encore officieusement, pour 2019, année du centenaire de sa mort, sans oublier les lumières nouvelles que peut jeter sur l’œuvre le Colloque de Cerisy consacré à Victor Segalen en juillet 2018 avec notamment une contribution de Sophie Labatut: René Leys, œuvre réversible ou réciproque ?

Notes de l'auteur

1 Voir Manuel de Bibliophilie. 2 tomes. Éditions des Cendres 1997, publié avec le concours du Centre National des Lettres. Deuxième tirage achevé d'imprimer le 15 février 1998 sur les presses de l'imprimerie Plein Chant, à Bassac, à 999 exemplaires sur Iskandar ocre diaphane. Les * du présent texte renvoient à des définitions du dictionnaire qu'il contient.
Dans le présent texte, les chiffres renvoient aux Notes de bas de page, les lettres majuscules au Notes de fin de texte.

2  Ouest France, 27 août 2008. Marie Dollé, Victor Segalen, le voyageur incertain, éditions Aden, 2008.

3  Victor Segalen : René Leys, Préface de M Butor, Introduction par S Labatut : Texte, notes et variantes, Chatelain-Julien, Paris, 1999 cette édition critique (EC) complète et très documentée fut reprise ensuite en Folio Gallimard (2000) avec des extraits du travail critique et documentaire.

4 Micheau Madeleine. Enquête sur la genèse de René Leys de Victor Segalen. In: Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), numéro 15, 2000. pp. 67-79; https://www.persee.fr/doc/item_1167-5101_2000_num_15_1_1159

5 Pseudonyme choisi par Pierre Ryckmans (1935-2014) écrivain et sinologue d'origine belge, admirateur de René Leys dont il écrit «Livre de l’échec et de la dérision, il est aussi le plus fidèle reflet de l’expérience du poète, qui, cherchant à pénétrer dans une impénétrable Cité Interdite, ne réussit finalement qu’à se faire mener en bateau par un séduisant et pathétique fumiste». Le mot est dur: René Leys comme Maurice Roy semblent posséder des compétences relationnelles et linguistiques qui dépassent la fumisterie. Mythomanie ?

6  Les chapitres, sauf le 1er, commencent tous ainsi par « X ... — », et ne sont pas numérotés. Je regrette alors la datation de Lartigue, même imparfaite, mais indispensable dans ce qui se veut un journal, et permettant de s'y retrouver plus aisément. L'EC en donne un tableau avec un résumé très utile des séquences et une critique de la cohérence des dates.

7  Et celle d'articles comme celui de Juliette Salabert Faux et usage de faux. Sur le bilinguisme chinois de René Leys, pour tenter de percer les intentions vraisemblables de l'auteur. https://journals.openedition.org/trans/221.

8  Je cite l'épigraphe provenant, redessinée, du feuillet 435 du manuscrit A, présente en tête de l'EC, absente de la PO et de l'EO. C'est pour Sophie Labatut «une fantaisie de Segalen, composée à partir d'éléments disparates empruntés aux idéogrammes chinois: le premier caractère désigne un homme, un individu (ren); le second est composé de l'élément grand (da) - lui-même très lié au premier caractère, puisqu'il ne lui rajoute qu'un trait horizontal -, inséré dans la ''clef'' désignant la maison, l'intérieur, le dedans. Segalen traduisait ainsi ce rébus: ''être mis grandement Dedans''. Nous laissons à l'épigraphe et à la dédicace ''A sa mémoire'' leur caractère mystérieux [... ]».

9  Huit (chiffre symbole de fortune et bonheur en Chine) personnes citées et nées avant René Leys ont un 'y' dans leur nom: Maurice Roy, François Faÿ, Long-Yu, Yvonne et Yvon, famille Lidy, Claude Debussy, Pierre Louÿs, Henry de Monfreid (par choix ultérieur pour ces 2 derniers, comme d'ailleurs Max Anély, pseudonyme de Victor pour Les Immémoriaux), prolifération remarquable d'une lettre plutôt rare parmi tous les protagonistes (sans compter le ryu ni Annie Joly-Segalen, Henry Bouillier et P Ryckmans, nés postérieurement)! 'ren' n'est-il pas un 'y' inversé ? Faut-il, dans ce trait commun avec René Leys, chercher le signe de relations plus complexes et de plus profonds mystères ? Pour moi, Lartigue n'avait pas pu ne pas le voir, en particulier pour les quatre premiers noms. Et le tréma ajouté sur la couverture 'au dragon' de l'EO n'est-il pas alors aussi un salut subliminal à l'ami François Faÿ trop tôt disparu ? ...

10  PRodriguez.JeanLartigue.Unevocation,laMarine.Unepassion,laChine.Uneamitié,VictorSegalen.LesIndesSavantes.2012

11  André Chaumeix (1874-1955). Normalien, agrégé de lettres, journaliste et critique littéraire. Il était directeur de la Revue de Paris depuis 1920. Il sera élu à l'Académie Française en 1930.

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